[Article] : Interview de Mr. Yoshihisa Kishimoto, créateur de Double Dragon

Lors de la Japan Expo 2012, nous avons eu l’honneur de rencontrer un grand nom du jeu vidéo : le créateur de Double Dragon en compagnie de Florent Gorges (Historien du jeu vidéo, traducteur, etc.). Découvrez son interview !

10Mr. Kishimoto à Paris en compagnie de Florent Gorges à l’occasion de la sortie de sa biographie

Rémi Meilley : Monsieur Kishimoto, Pouvez-vous nous en dire plus sur les origines de ce livre et sur votre rencontre avec Florent Gorges ?

Yoshihisa Kishimoto : Un jour j’ai reçu un mail depuis mon site Internet personnel. Il était rédigé par un Français dans un japonais parfait et je dois dire que cela m’a beaucoup intrigué. Je lui ai donc répondu immédiatement et nous nous sommes rencontrés quelques semaines plus tard à Tokyo. Florent Gorges m’a alors interviewé dans le but de rédiger un dossier spécial de seize pages sur Double Dragon qui a été publié dans le numéro de 7 de Pix’n’love.

11 Pix’n love #7 paru en 2009

R : Quel effet cela fait d’avoir sa biographie entre les mains ?

K : En fait, je viens juste de me rendre compte que c’était quelque chose de concret.
J’en ai pris conscience le jour où j’ai eu le bouquin entre les mains. Jusqu’alors, c’est étrange, mais je n’avais pas du tout conscience que cela allait avoir une forme réelle. Pour moi, c’était un peu comme une blague, je n’y croyais pas vraiment et il fallait que j’aie l’ouvrage entre les mains pour me rendre compte que c’était vrai, bien réel ! C’est lors de mon séjour en France, à l’occasion de la Japan Expo, que je l’ai découvert.

R : Que pensez vous de la France et de l’intérêt qu’elle porte au rétrogaming ?

K : Je suis vraiment très heureux en tant créateur, et surtout en tant que créateur japonais, de voir autant d’énergie et de passion de la part de tous les Français dans les diverses associations qui font des efforts pour conserver ce patrimoine et promouvoir cette culture et cette histoire du jeu vidéo. À la différence, le Japon est une société de consommation pure et dure. Les Japonais consomment énormément de jeux récents qui sont ensuite très vite revendus ou échangés. Il n’y a donc que très peu de véritables rétrogamers puisqu’il s’agit plutôt de nombreux collectionneurs privés. Ce n’est donc en rien comparable à la France !

R : Florent : Tes ouvrages sont de manière générale, extrêmement documentés. Est-ce difficile d’obtenir tant d’informations au Japon ? Les obtiens-tu au contact direct des créateurs (comme par exemple avec M Kishimoto) ?

F : Effectivement, au Japon il est relativement compliqué d’obtenir toutes les informations dont nous avons besoin en tant que journaliste car tous ces éléments relèvent pour la plupart du secret professionnel. Ce ne sont donc pas des informations que l’on trouve facilement : nous devons contacter personnellement tous les créateurs. Pour y parvenir, il faut tout d’abord rechercher leur identité puisque dans les années 80, les jeux n’étaient que très rarement signés.
Dans le cas de Double Dragon par exemple, seuls des pseudonymes sont diffusés dans le générique ainsi que sur le staff roll ! Cette phase de recherche de l’identité des créateurs est laborieuse et compliquée. C’est comme s’il s’agissait de mener une enquête pour trouver le nom du créateur derrière chaque pseudonyme avant de pouvoir le contacter. Et quand on arrive enfin à le contacter, il faut le convaincre de nous parler !

C’est donc un travail de longue haleine, comme tout travail de n’importe quel historien, peu importe le domaine, il faut en passer par le défrichage, l’enquête et l’investigation. C’est assez complexe mais c’est un travail passionnant, surtout lorsque cela fonctionne bien, comme ce fut le cas pour la biographie de M. Kishimoto. Celui-ci a immédiatement accepté de se livrer, et je suis finalement satisfait de notre collaboration et du résultat.

R : Revenons à M. Kishimoto et plus spécifiquement à Double Dragon et Kunio Kun. En France, le personnage de Kunio est très peu connu mais fait partie intégrante des œuvres que vous avez réalisées. Pouvez-vous nous en parler ? Etiez-vous maître de ce personnage et des différentes adaptations où il apparaît ?

K : La série des Kunio Kun compte près de quarante épisodes, de l’époque de la Nintendo Nes jusqu’à récemment avec la 3DS ! Je n’ai donc évidemment pas été réalisateur ou directeur sur tous ces jeux mais j’ai été impliqué d’une manière ou d’une autre, que ce soit en tant que producteur ou encore consultant.

13                                                                           Nekketsu Kouha Kunio-Kun

Au Japon, c’est une série extrêmement connue et elle peut se scinder en plusieurs catégories : il y a la série des Kunio, où le personnage possède un physique graphique relativement réaliste. Il existe ensuite le Kunio de l’époque de la Famicom, le personnage apparaît alors beaucoup plus petit et plus « rondouillard » comme dans World cup par exemple. C’est ce personnage qui reste le plus connu au Japon et même en France ! Ces deux Kunio peuvent également se subdiviser en sous-genres : les Kunio Kun sportifs, les Kunio de baston, etc.
Comme vous pouvez le constater il existe une variété de personnages qui permet de se faire une idée plus précise de la série.

12                                                                                           World Cup

R : Auriez-vous envie, un jour, de sortir un épisode ultime de Double Dragon ? Et si oui, est-ce réalisable ?

K : Très prochainement, doit sortir un nouvel épisode de Double Dragon. En fait il s’agit plus d’un genre de spin off que d’un nouvel épisode à proprement parler. Il s’appelle Double Dragon NEON [1] et a été développé aux Etats-Unis par une équipe américaine.

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Personnellement, en tant que consultant, je supervise de loin leur travail.
Il s’agit d’un Double Dragon relativement moderne dans le sens technique du terme. Il sera disponible sur les plates-formes de téléchargement des consoles XBOX 360 et PS3.

double_dragon_neon_by_genzoman-d6nzt8p                                                                         Artwork officiel de DD NEON

R : Petite réflexion personnelle pour finir sur Double Dragon et Kunio. J’ai l’impression qu’il y a une sorte de liberté dans tous les jeux où il apparaît. Par exemple, il n’y a aucun arbitre dans les jeux de sport et dans les jeux de combat, les coups et l’univers sont extrêmement réalistes. J’ai l’impression que cela est une constante dans votre œuvre, cela était-il voulu et conscient ?

K : C’est effectivement une constante dans mes productions car je place avant toute chose le joueur au centre du jeu. J’ai évidemment créé des personnages avec un fort caractère et un grand charisme mais ce qui compte le plus pour moi est que le joueur s’identifie au héros : il doit se dire « Je joue à Double Dragon et je suis Bruce Lee ! C’est moi qui contrôle le jeu.» S’il y avait un arbitre pour un jeu de sport qui venait arrêter le joueur, cela n’empêcherait pas l’identification mais cela casserait son plaisir et la possibilité de se déstresser, de sortir de l’ordinaire, de son quotidien et de se placer dans la peau d’un voyou alors que dans la vie de tous les jours on est obligé de se tenir à carreau !
Le jeu vidéo est un défouloir et dans ce sens, on attend qu’il n’y ait personne qui vous mette des bâtons dans les roues ! Pour finir, en ce qui concerne cette histoire d’arbitre, je crois qu’il est primordial qu’un jeu, tel que Dodgeball, se démarque de la réalité, sinon autant sortir jouer avec ses copains. On a donc essayé de créer quelque chose de différent : il fallait qu’il y ait LE truc en plus, c’est-à-dire un détail propre au jeu et d’impossible à faire dans la réalité. Nous avons alors intégré des supers coups au jeu et qui dit supers coups dit règles inhabituelles ; c’est pourquoi il aurait été contradictoire d’y intégrer des arbitres. Si on prend l’exemple du football avec ce qu’a fait Konami à l’époque, les jeux avaient des règles bien établies et des arbitres stricts.
Si nous étions restés dans cette veine, nous n’aurions rien eu pour nous démarquer et proposer un jeu original au public. Ainsi, sans arbitre, pas de règle, donc liberté : du fun tout simplement !

R : Pouvez vous nous présenter Plophet ? D’où vient ce mot ?

K : Plophet [2] est une société que je dirige depuis maintenant trois ans et qui est spécialisée dans le développement de jeu vidéo. Nous nous sommes occupés par exemple de portages sur différentes plates-formes ainsi que sur Internet de mes vieilles licences comme Kunio Kun et Double Dragon. A ce propos, vous pouvez par exemple trouver ces deux jeux sur une salle d’arcade virtuelle sur le site 777townnet [3]. Il suffit d’acheter des crédits en ligne et vous pouvez essayer une multitude de jeux rétro dont Kunio Kun ou Double Dragon.

16Quant à l’origine du mot Plophet, cela vient de l’époque où j’étais lycéen. Je jouais alors dans un groupe de musique appelé Plophet. Nous avions mis un L à la place du R tout simplement car on trouvait que visuellement c’était plus joli ! Dans l’absolu, cela ne veut strictement rien dire !

R : Quels sont vos projets à venir ? Vous intéressez-vous aux nouveaux supports numériques (tablettes, smartphone, etc.) ?

K : En effet, je travaille déjà sur ce nouveau type de supports : ainsi j’ai développé sur Ios et Android pour les smartphones. J’ai créé, par exemple, le jeu de plateau VIER [4], un petit jeu de réflexion abstrait, l’équivalent d’un Othello. Ce genre de développement m’intéresse mais le souci avec ce genre de nouveaux supports, c’est qu’il sort entre 400 et 500 applications quotidiennement. De fait, si on n’a pas les moyens pour mettre en avant sa création, celle-ci est immédiatement ensevelie sous la masse de nouveautés.
De mon côté, je possède à ce jour peu de moyens avec Plophet, ce qui a conduit à la quasi-disparition de ce jeu. Si je veux continuer à travailler sur ce genre de plate-forme, il faut donc que j’aie plus de moyens pour promouvoir mes jeux.

17                                                                                  Vier (Plophet/2011)

[1] : www.doubledragonneon.com/
[2] : http://plophet.com/
[3] : http://www.777town.net
[4] : Vier pour Android, iphone, iPad

Découvrez et commandez la biographie de Mr. Kishimoto aux éditions PIX’N LOVE. http://www.editionspixnlove.com/

Interview réalisée par Rem
Correction : Lucie
Traducteur / interprète : Florent Gorges
Un énorme merci à Flo, Mr. Kishimoto et Lucie