Interview de Manami Matsumae, compositrice de Megaman
Manami Matsumae et compagnie de Saori Kobayashi [Panzer Dragoon]
Lors de l’édition 2015 de Japan Expo, l’association à eu la chance rencontrer la compositrice Manami Matsumae sur le stand du label Brave Wave Records. Quelques mois plus tard, une interview nous à été accordée. Après plusieurs traductions (Français-anglais-Japonais) et relectures, nous sommes heureux et fiers de vous faire partager cet entretien avec cette grande dame de la musique de jeu vidéo.
Logo du label Brave Wave
Rémi Meilley : Bonjour. À notre connaissance, vous n’avez jamais donné d’interview à un media français. Pour nos lecteurs qui ne vous connaîtraient pas encore, pouvez-vous nous préciser quand et comment vous avez débuté votre carrière ?
Manami Matsumae : J’ai tout d’abord été diplômée de l’Université des Arts d’Osaka, en section piano. J’ai ensuite rejoint Capcom en tant que compositrice en 1987.
R : Comment en êtes-vous venue à composer des musiques de jeux vidéo ?
MM : J’ai vu une offre d’emploi à mon université, pour une place de compositeur chez Capcom. J’ai postulé, j’ai passé un entretien… et j’ai été embauchée.
R : Étiez-vous une joueuse de jeux vidéo à ce moment-là ? L’êtes-vous devenue par la suite ?
MM : Oui, à l’époque j’aimais les jeux comme Super Mario Bros. et dragon Quest. J’aime encore les jeux vidéo aujourd’hui. Ma série préférée est Fire Emblem.
R : Vous avez travaillé pour Capcom depuis 1987 jusqu’au début des années 90. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos méthodes de travail de l’époque ? Étiez-vous assistée par un programmeur ?
MM : Lorsque je travaille, j’observe des images des jeux pour lesquels on me demande de composer, et je discute avec les développeurs. J’imagine ce qui irait bien avec le jeu que je vois, puis je compose. Quand j’étais chez Capcom, ma mission était de composer la musique et les effets sonores. Je faisais tout cela toute seule.
R : Lors de votre travail de composition pour le premier Megaman, pouviez-vous jouer au jeu et adapter vos thèmes aux niveaux, ou deviez-vous simplement apporter les compositions utilisées pour les différentes parties du jeu ?
MM : Durant le processus de composition, j’allais dans la salle des développeurs à chaque fois qu’un nouveau niveau était terminé. Ainsi je pouvais voir les décors et les mouvements des personnages.
R : Quelle liberté aviez-vous lors de la composition des thèmes du premier Megaman ? Les dirigeants de Capcom vous imposaient-ils certaines choses ?
MM : Ils m’ont demandé de créer une musique que je sentirais bien aller avec le jeu. Il fallait bien sûr que ça leur plaise… Mais il n’y avait à proprement parler aucune règle stricte.
R : Quelles ont été vos influences majeures pour ce travail, particulièrement pour les thèmes et les gammes « Blues » et « rock » ?
MM : Je ne pense pas que j’avais d’influences particulières quand j’ai composé pour Megaman. J’ai adopté un style « rock » parce qu’on m’a dit que c’était un jeu rempli d’animations, et qu’il avait un ressenti très « action » pour le joueur.
R : Le sujet des royalties était quelque chose de très complexe à l’époque, et certains compositeurs ne possèdent toujours pas les droits de leurs compositions. Avez-vous conservé les droits des musiques que vous avez composées pour Capcom ?
MM : Absolument pas. C’est Capcom qui détient les droits, pas moi.
R : Comment s’est passé la suite de votre carrière, après votre passage chez Capcom ?
MM : Je suis devenue compositrice en freelance au début des années 90, travaillant avec différentes entreprises. C’est aussi à cette époque que j’ai déménagé à Tokyo, où j’ai continué à composer.
R : Vous avez travaillé avec Jack Kaufman. Pouvez-vous nous expliquer comment vous l’avez rencontré, et comment fut la collaboration avec lui sur le jeu Shovel Knight ?
MM : J’ai travaillé sur Shovel Knight grâce au rapprochement entre Brave Wave et Yacht Club Games. J’ai rencontré Jake en personne à la PAX de Seattle en 2014, où nous avons joué un morceau de ce jeu ensemble. J’ai adoré rencontrer Jake ! Il est très gentil, et je respecte énormément son travail.
R : Contrairement à l’époque à laquelle vous composiez pour les jeux d’arcade et Famicom, il n’y a plus de limite techniques à la composition de thèmes musicaux. Pensez-vous que cela soit une bonne chose ? Et pensez-vous surtout que l’évolution des musiques de jeux vidéo et de leur technologie peut continuer à maintenir leur caractère « à part » ?
MM : Je ne pense pas que ce soit plus facile, si c’est ce vous supposez. Mon style de composition est le même qu’avant. Bien sûr, je pense que composer sans les limites de la Famicom est une bonne chose en général. Cependant, je ne sais pas si cela affecte la singularité des jeux. Je trouve qu’ils sont uniques depuis une trentaine d’années.
R : En 2007, vous avez signé la plupart des morceaux de Dragon Quest Swords, aux côtés de Koichi Sugiyama. Les joueurs ont ainsi découvert un autre aspect de votre talent de compositrice. Pouvez-vous nous dire comment s’est passé votre rencontre, et comment s’est passée votre collaboration ? En outre, comment avez-vous approché ce travail, et qu’en avez-vous retiré ?
MM : J’ai rencontré Sugiyama-sensei [marque de respect – NDLR] il y a une dizaine d’années, en faisant des essais pour un autre jeu. C’était un jeu de la série des Derby Stallion, une simulation de courses hippiques. Ce jeu était sonorisé avec des fanfares d’hippodrome. Sugiyama-sensei composait des morceaux de fanfare G1 [une fanfare G1 est un appareil destiné à produire une petite musique depuis les gradins. Sugiyama travaillait probablement pour le jeu Derby Owners Club, sorti chez SEGA en 2006 sur PC – NDLR], je lui ai donc demandé de vérifier mon travail, et d’écouter d’autres chansons que j’avais fait pour Derby Stallion. Il m’a félicité en me disant : « Tu écris de bonnes mélodies ».
Par la suite, je ne l’ai plus revu. Et puis un jour, je reçus un coup de fil. C’était Sugiyama-sensei, qui me disait : « Ils vont développer un jeu d’action Dragon Quest. Je vais très certainement y jouer et m’assurer que tout est correct, mais je pense qu’il me sera difficile d’y participer car c’est un jeu d’action, et je me fais vieux. Quand j’ai réfléchi à qui pourrait composer pour ce jeu, je me suis souvenu de Matsumae-san, qui écrit de bonnes mélodies ». J’étais très surprise d’entendre que Sugiyama-sensei se souvenait de qui j’étais. J’avais beaucoup de pression, car je ne voulais me montrer digne de l’honneur qu’il me faisait. À aucun moment de la composition il ne m’a contraint sur le style de musique à adopter. Lorsque je terminais un morceau, je lui envoyais en WAV accompagné de notes, et à chaque fois, il me disait : « C’est un bon morceau ». Ses encouragements m’ont aidé à terminer le travail sans jamais perdre ma motivation. C’était un honneur de travailler avec Sugiyama-sensei.
R : Outre votre travail dans le monde du jeu vidéo, vous a-t-on proposé de travailler sur des films ?
MM : Pas encore, mais j’aimerais beaucoup que l’on m’en donne l’opportunité !
Gérald Mercey : Vous avez travaillé avec votre mari, Kimitaka Matsumae, sur la bande-son de Jade Cocoon 2. Était-ce facile ou au contraire compliqué de travailler ainsi « en famille » ?
MM : Je l’ai aidé pour la moitié de Jade Cocoon, et pour la moitié de Jade Cocoon 2 également. Il est très doué pour les musiques de styles « synthétiseur » et « rythmique ». Il écrivait donc ce genre de morceaux, alors que je m’occupais de ceux qui étaient plus mélodiques.
Quand nous avons travaillé ensemble, j’ai complètement mis de côté notre vie privée. Nous étions tous les deux en « mode travail ». Ceci dit, nous connaissons nos personnalités mutuelles… le travail a donc été assez difficile ! *rires*
R : Vous avez travaillé sur de nombreux jeux indépendants [Mighty Number 9, Target Acquired, Flat Kingdom, Starr Mazer, Red Ash… – NDLR]. Y a-t-il une différence fondamentale entre la production classique et la production indépendante, en ce qui concerne la liberté artistique ?
MM : Les jeux indépendants sont plus faciles à mettre en musique car les équipes sont plus petites, et que j’ai plus de liberté pour faire ce que je veux. Pour les projets de plus grandes firmes, on me demande plus souvent de faire des ajustements sur ce que je compose.
G : Mighty Number 9 est un cas intéressant, puisque ce « nouveau Megaman » bénéficiait de la présence que presque toute l’équipe de développement de celui-ci. Était-ce important, tout comme sur Red Ash, de travailler avec Keiji Inafune ? Est-ce que d’autres grands noms du monde du jeu vidéo vous ont contacté pour travailler avec eux ?
MM : Il est vrai qu’il est génial de travailler avec Inafune-san. C’était merveilleux de se retrouver pour Mighty N°9 et Red Ash. J’ai eu l’occasion de travailler avec d’autres développeurs. Par exemple, Sugiyama-san pour Dragon Quest Swords, comme je l’expliquais précédemment.
Artwork officiel de Mighty no.9
G : Le kickstarter de Red Ash n’a pas fonctionné [520000 dollars promis pour 800000 demandés – NDLR]. Quelle est votre opinion à ce propos ? Comprenez-vous pourquoi la communauté Internet a réagi de la sorte, alors que Mighty Number 9 a trouvé son audience et a été financé en seulement quatre jours ?
MM : En effet, le résultat final du Kickstarter pour Red Ash était un peu malheureux. J’ai entendu dire que certains étaient surpris qu’un autre Kickstarter soit lancé alors que Mighty N°9 n’était pas encore sorti. Il faut savoir que tout ce que fait Inafune-san est de planifier le jeu, ce n’est pas son entreprise qui prend en charge le développement réel de celui-ci. Je pense que les planificateurs avancent naturellement vers le projet suivant, mais si on n’est pas transparent dans cette démarche vis-à-vis des fans, on se retrouve avec les résultats de Red Ash. Sur Kickstarter, il faut avoir la confiance des backers. Comment peut-on gagner le cœur des backers ? Je pense que c’est la grande question à laquelle nous sommes confrontés actuellement.
G : Pensez-vous que vous puissiez un jour retravailler pour un RPG, ce qui nous permettrait de vous voir davantage sur le devant de la scène ?
MM : Je n’ai pas de projets de ce genre en ce moment, mais j’ai composé pour beaucoup de jeux d’action ces derniers temps, donc j’aimerais beaucoup composer pour un RPG traditionnel à l’avenir. Cela fait longtemps que je ne l’ai pas fait.
R : Quels sont vos projets actuels et à venir ?
MM : J’ai récemment travaillé sur des jeux développés aux USA, au Mexique, en Indonésie, à Taiwan, et bien sûr au Japon. J’ai fait un morceau pour Starr Mazer, la bande originale complète d’un jeu Mexicain appelé Flat Kingdom, et je travaille sur quelques morceaux pour Heart Forth, Alicia. J’ai composé pour Target Acquired de chez Touchten Games, en Indonésie, et pour Qubot de chez Qubit Games à Taïwan. Ces deux derniers jeux, ainsi que Flat Kingdom, devraient sortir fin 2015. Heart Forth, Alicia est prévu pour l’année prochaine.
De plus, je travaille sur deux albums avec Brave Wave Productions, dont mon premier album solo qui va célébrer mon trentième anniversaire en tant que compositrice. Il sortira en 2017. Et pour 2016, je vais travailler sur un album mémorial avec mes collègues compositeurs de Brave Wave et quelques autres de mes amis.
Interview réalisée par Rem et Gérald Mercey
Correction : Gérald Mercey
Traductions Français-Japonais : Alexander Aniel et Brave Wave productions
Traductions Français-Anglais : Moe Lee
Un énorme merci à l’équipe de Brave Wave [Mohammed, Lauren, Alexander] et Moe Lee
Site web du label Brave Wave : bravewave.net